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Building





Je suis dans un building, je regarde la rue par la fenêtre d'un appartement banal.
Je suis compacté par une foule d'hommes. Il y a aussi des femmes. c'est plein.
Je suis commun. C'est à dire communément admis, le groupe est une réalité.
Je suis un autre comme tout les autres. Je m'intègre. Je suis dans un building.
Je ne parle pas. Communication zéro. Je suis là, c'est tout. On ne me remarque pas.
Je possède une fausse carte d'identité. Je bois un whisky soda avec la vague impression
d'être quelqu'un. J'observe. J'ai peur. Je me cache. j'imite ces gens. Je suis un fugitif.
Je suis dans un building.
Je suis coupable.

Je marche sur le toit d'un building. Ils m'ont trouvé. A bout de souffle, je sors une boite.
Je cherche une cigarette. Je l'allume. J'inspire. Mes poumons se déchirent. Je tousse.
Je me calme - un peu. Je m'accroupis. Je me relève. Je ne peux pas vivre en prison.
Je ne sais pas si ça s'appelle “vivre”, vivre en prison. Je ne sais pas si ça a un nom.
Je n'irai pas là-bas, et pourtant je suis déjà ici. Je prends une décision. Je me ravise,
c'est risqué, je doute. J'aspire une bouffée. je transige trop. Je marche sur le toit d'un
building. Je décide. Je deviens ferme. Je tranche. Je m'assieds et je surveille la porte.
J'entends du bruit. Je tripote nerveusement un objet froid dans la poche de mon si vieux manteau.
Je le saisis. Je pointe la porte. J'ai un glock dans la main. Il est chargé. Je suis armé.
J'ai un doigt sur la gâchette.

J'ai des trous dans le corps. J'ai nié. J'ai refusé. Foutu orgueil. J'ai tiré. Eux aussi.
Je suis aveuglé par ce que je ne veux pas voir. Je ne veux pas vivre en prison.
Je tranche. Je suis là, c'est tout.
Je suis commun. J'inspire. Je me calme. Mes poumons se déchirent. Je suis là.
C'est risqué. Je hurle. Je me disloque. On m'a lardé. Je vagis. Je ne comprends pas.
Je glapis. Mes mots se barrent. Foutu orgueil. Je suis là, c'est tout.
Je cours sur le toit d'un building.


Il se réveille. C'est lui.


Il pense être ailleurs, loin, il se sent en sécurité. il est au milieu de la chambre, il
bougeotte, il tremblotte. Il ressemble à un épileptique. Il n'est pas vide. il murmure.
“Je ne suis pas vide.”
Il a bu. Il a la fibre musicale, le rythme dans la peau, le titubement dansant.
Il murmure.
“Je ne suis pas vide.”
Il s'immobilise. Il s'assied sur le sol. Il étreint ses tibias, serre ses pieds. Il se condense.
Il reste comme ça, dans cette même position, un moment.
Puis il rampe, il est physiquement identifiable.
De type européen, il est brun, il garde ses cheveux courts, presque tondus. On aurait
tendance à penser que sa figure est émaciée. Il aime se persuader qu'il a des traits
comme coupés au couteau. il ne porte pas la barbe, mais il ne se rase pas
régulièrement, le bas de son visage est donc moucheté de noir. Il n'est pas petit.
Il n'est pas imposant. Il semble profondément épuisé. Il est nu. Il rampe.
Il n'aime pas la musique, il raffole cependant du bruit qu'elle fait.
“pa! pa! pa! pa! pa! tchak… pa! pa! pa! pa! pa! tchak…“
Il transpire, Ça lui colle à la peau. Il transpire, il se sent.
“Un bruit sourd, ça hurle à tâtons. “
La phrase est belle. Il la répète.
“Un bruit sourd, ça hurle à tâtons.”
On l'attaque d'un nœud à la gorge. Il s'assèche. Il boit. Il boit trop. Il tangue.
Il gravite, il oblique à droite, à gauche. Il se retourne, il se détourne. Il tourbillonne.
Il tombe. Il a la tête sur un oreiller. Il se love. Dormir d'un sommeil lourd, sans rêves.
Il expire.



Debout, sur les nuages,
Il entend au loin les cris.
Les vivants font des ravages,
Lui n'est pourtant pas parti.



Ça bouge. Il bouge. Il ouvre les yeux. Il s'assoit sur son lit, il rejette la vieille
couverture.
”-Debout.
-pourquoi?”
Tranchante question, réponse inutile.
Il se lève, s'habille sans hâte visible, à tâtons, dans l'obscurité.
“marche maintenant, arrose-toi.”
Il se dirige vaguement, il effleure l'interrupteur.
Flash. Il ferme les yeux brusquement, puis les rouvre avec prudence. Il suit, la narine
frétillante l'odeur du café chaud.
“Bois.”
Il se réveille. il mange un morceau. Il avait faim. Il veut déposer le plateau dans le
couloir, le room service doit le récupérer. Il a du mal à sortir. Il transpire de peur. Il
suinte l'angoisse.
“Plus tard.”
Il abandonne.
Il s'abandonne à côté du balcon de la chambre. Il se complaît. La chambre, c'est la
sécurité. Il rit, seul. Inspiration. Mal canin. Il hume le vent à sa fenêtre.
“Insoumis, cris!”.
S'il était vivant?
Il allume une cigarette, il doit le faire quand il regrette.



Expire, ça fume.
Souvenirs.
Hume le désir,
Mange-brume.




Il est avachi, vautré, il baigne dans l'absence. Il désire, il a besoin de s'alimenter.
Il dort, se réveille, ça aurait pu tout aussi bien durer quelques heures, quelques
minutes. Levé, il vit à ressort le maximum de ses efforts. Il saute, s’aplatit, se
propulse, s'accroupit.
“Un batracien!”, il rit.
Il prend le combiné, à côté de la porte d'entrée. Il compose le numéro du room
service. 036.
“Chambre 49, à manger. Pardon? peu importe. Ce que vous voulez.”
Il raccroche et il court se cacher. Il n'aime pas les gens. Ça lui fait peur. Avant Il
n'avait pas peur. Il avait des amis, des connaissances, une tolérance avancée, oh les
mondanités. Avant.



Sous le lit,
Monstres étranges
Assailli,
Le dérangent;




Je cours à travers la ville. Je sors du centre, je m'oriente vers l'ailleurs. Je dépasse
les derniers magasins. Je pars. Je suis rapide et je ne m’arrête pas. J'aurais dû mettre
des baskets, mes chaussures me font mal. Je suis pressé. Je passe devant un véhicule
de police. Je marche. La voiture disparait, je galope. j'ai mal au ventre, aux tripes. Je me
sens mal. J'ai un point de côté.
“Respire.”
Je stoppe, me plie en deux. J'empoigne mes tibias et je souffle. Je ne peux plus être faible.
Oh, la tentation d'abandonner. Je souffle deux fois pour une seule inspiration. Ça passe.
J'aime m'entendre respirer, je me sens proche. Je repars. J'augmente progressivement
la taille de mes foulées. Je traverse la ville, je traverse les rues. Des pneus crissent,
on m'insulte. J'arrive. On me donne ce que je veux. Ils connaissent ma situation.
Un des types m'apostrophe.
“Vous devriez tout garder sur vous, on ne sait jamais.”
Je ne sais jamais. Je dis oui et je me barre.



Dans l'ombre bleue
Il guette,
Il s'allume sa
Cigarette.




C'est rentré, il est terrorisé. Il écoute. Des bruits de pas retentissent. Cling. ça a posé
le plateau repas. Il entend. Ça se meut. Ça referme la porte. C'est parti. Il n'entreprend
aucun mouvement, pas encore. Il bouge finalement, alerte, un animal craintif, il mange.
C'est bon.
Il se relâche. le petit déjeuner, deux croissants, un jus d'orange, un café, dégouline.
“Ca chute dans l’œsophage.”
Il rit, il s'étouffe. Il crache.
Il bouge.
Il s'installe. Sur une chaise, il classifie les voitures. Il distingue les passants.
Il peinçotte. Il codifie ses couleurs. Sévèrement, il ne se distrait pas.
Il analyse ses desseins.
Le bleu.
Il se ballade. Sous ses pieds, l'herbe est sombre. Il fait nuit, il fait jour, aucune idée.
S'il savait. Le ciel est noir, les nuages gris. Le soleil distille son halo bleuté. Il est
électrisé, l'air est humide. Il heurte un arbre à l'écorce brulé. Le feuillage est tranchant.
Il s'effeuille. Lentement, il se dénude. Des relents ambrés, jolie couleur, se bousculent.
Il gémit.
Il sombre.

Il recule, Il ne comprend rien. Il n'a pas le choix, il n'est pas fixé. Il change vite, il ne
se goûte qu'une fois, à chaque fois.
Plan. Un appartement délabré, un squat peut être, dix, douze écrans de télévison, ils sont
allumés. Zoom. Ils grésillent. la neige, les premières neiges haute définition, successions
de points, trainées de poudre blanche, noire. Ça frétille.
De-zoom. Il est là, entouré par la masse en mouvement. Il presse sa tête les yeux ouverts.
Il neutralise la vision.
Il se casse.

Les yeux secs, il est à découvert. Le toit du bâtiment est pentu.


Accident de décompression.



Je souhaiterais quitter le monde,
Un dernier vers au ventre
Peut être sans remuer l'onde,
Sans m'enfuir, sans attendre.



Ainsi il resta là, allongé, embué dans sa respiration. Un rythme ternaire.
Inspiration, expiration, douleur.
Le diaphragme large, le diaphragme presse, ça fait mal apparemment. Un
simulacre d’immobilisme. Il pensa.

« Avant j’étais deux. J’ai souvent été double. Maintenant je suis seul. »

Rythme ternaire. Merde.

« J’étais moi, je suis je. Un jeu rapide, incisif et précis entre soi et ses
aspirations. A priori tu vas mourir. C'est terminé. Tu te tutoies maintenant. »

Inspiration, aspiration.. Tu ne sais plus trop.

Tu lèves la tête, le pied. Tu sembles observer le plafond. Tu pourrais te
concentrer, et dans un élan dramatique, crier, te tordre, agir. On se
souviendrait de toi. On parlerait de toi, on pleurerait, peut-être. Un concours,
à qui jouera du trémolo le plus larmoyant. Tu imagines. Une remise des prix.
Tu pourrais dire quelque chose.Tu pourrais expliquer.
Tu souris. Tu pourrais.
Mais tu t’en fous, t’es bien. Tu dors.





Noé Tir - Mai 2010

jesuisdansunbuilding.txt · Dernière modification: 2013/10/10 01:08 par noetir