Oui, bah, on le savait, le premier mai, c'est la fête du travail - ou fête des travailleurs, pour les moins conservateurs. Comme dirait Wikipedia, c'est le 121e jour du calendrier grégorien, et même le 122e les années bissextiles. Et les Ecritures de poursuivre, “Il reste 244 jours avant la fin de l'année”. Loin de moi l'idée de mettre en doute cette information, contredite il est vrai par le calendrier maya… enfin, bref, là n'est pas la question.
Le premier mai, c'est la fête des travailleurs. Ca veut dire que Pierrot et ses copains de la Cénète vont investir les rues, et que si on est à Lille, c'est aussi la fête de la soupe. Jusque là, on suit encore à peu près.
Le soir du premier tour, le bon Jean-Luc nous a rappelé que ce premier mai serait notre prochain grand rendez-vous. Jusque là, pas de lézard (pas même urbain, n'en déplaise au rappeurs bruxellois, private joke with myself). Sans surprise, Marine-Marion annonce aussi qu'elle fera la fête ce jour-là, et qu'elle nous dira pour qui elle va voter (ou pas). Le suspense est terrible, mais c'est pas la première fois qu'on sait qu'elle fête la “fête de la pucelle”. Mais voilà maintenant Sarkozy qui nous invite à la manif lui aussi… Mais c'est quoi ce premier mai ?
Bon, pour la remise en contexte, vous pouvez encore vous fier aux Ecritures, dont voilà un petit extrait (ceux qui connaissent un peu leur Histoire des mouvements ouvriers, ou ceux qui ont juste un peu la flemme, pourront sauter allègrement ce chapitre) :
Aux États-Unis, au cours de leur congrès de 1884, les syndicats américains se donnent deux ans pour imposer aux patrons une limitation de la journée de travail à huit heures. Ils choisissent de débuter leur action le 1er mai parce que beaucoup d’entreprises américaines entament ce jour-là leur année comptable, et que les contrats ont leur terme ce jour-là. C’est ainsi que le 1er mai 1886, la pression syndicale permet à environ 200 000 travailleurs d’obtenir la journée de huit heures. D’autres travailleurs, dont les patrons n’ont pas accepté cette revendication, entament une grève générale. Ils sont environ 340 000 dans tout le pays. Le 3 mai 1886, une manifestation fait trois morts parmi les grévistes de la société McCormick Harvester, à Chicago. Le lendemain a lieu une marche de protestation et dans la soirée, tandis que la manifestation se disperse à Haymarket Square, il ne reste plus que 200 manifestants face à autant de policiers. C’est alors qu'une bombe explose devant les forces de l’ordre. Elle fait un mort dans les rangs de la police. Sept autres policiers sont tués dans la bagarre qui s’ensuit. À la suite de cet attentat, cinq syndicalistes anarchistes sont condamnés à mort (Albert Parsons, Adolph Fischer, George Engel, August Spies et Louis Lingg) ; quatre seront pendus le vendredi 11 novembre 1887 (connu depuis comme Black Friday ou « vendredi noir ») malgré l’inexistence de preuves, le dernier (Louis Lingg) s’étant suicidé dans sa cellule. Trois autres sont condamnés à perpétuité.
En 1893, la révision du procès reconnaît l'innocence des huit inculpés ainsi que la machination policière et judiciaire mise en place pour criminaliser et briser le mouvement anarchiste et plus largement le mouvement ouvrier naissant.
Sur une stèle du cimetière de Waldheim, à Chicago, sont inscrites les dernières paroles de l’un des condamnés, August Spies :
« Le jour viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd’hui »
En Amérique du Nord, il existe une distinction entre fête du Travail et fête des Travailleurs :
En effet la fête du Travail (Labor Day) est célébrée le premier lundi de septembre, il s’agit d’un jour férié et chômé marquant traditionnellement la rentrée (scolaire, artistique, etc.) après les vacances d’été. Elle n'a pratiquement plus de signification politique particulière. La fête des Travailleurs a lieu, quant à elle, le 1er mai. Ce jour n’est pas férié, mais est très largement célébré par les syndicats ainsi que les partis, groupes et organisations de gauche ; elle est vue comme une journée de la célébration de la classe ouvrière. Traditionnellement, lorsqu’il y a une augmentation du salaire minimum au Québec, cela a lieu le 1er mai.
Aux États-Unis, deux raisons au moins expliquent le fait que la fête du Travail est célébrée le 1er lundi de septembre. Les puissants syndicats nord-américains comme l’AFL-CIO n’ont pas voulu s’aligner sur les syndicats européens « d’orientation communiste » et le président Roosevelt (un démocrate social) trouvait que la date du 1er septembre équilibrait mieux le calendrier des jours fériés américains.
Trois ans après les zévènements de Chicago, la IIe Internationale socialiste se réunit à Paris pour le centenaire de la Révolution française et l’exposition universelle.
Sur une proposition de Raymond Lavigne, elle décide le 20 juillet 1889 de faire de chaque 1er mai une journée de manifestation avec pour objectif la réduction de la journée de travail à huit heures (soit 48 heures hebdomadaires, le dimanche seul étant chômé).
Le 1er mai 1890, l'évènement est ainsi célébré dans la plupart des pays, avec des participations diverses.
Le 1er mai 1891, à Fourmies, dans le Nord, en France, la manifestation tourne au drame : la police tire sur les ouvriers et fait neuf morts (voir la Fusillade de Fourmies et affaire de Clichy).
Avec ce nouveau drame, le 1er Mai s’enracine dans la tradition de lutte des ouvriers européens.
Quelques mois plus tard, à Bruxelles, l’Internationale socialiste renouvelle le caractère revendicatif et international du 1er mai.
En 1920, la Russie bolchévique décide que le 1er mai sera désormais chômé et deviendra la fête légale des travailleurs. Son exemple est suivi dans la plupart des autres pays.
Mais pourquoi donc alors Marine, Papa et leurs copains manifestent-ils ce jour-là ? On le sait (plus ou moins), ils célèbrent la véritable héroïne de notre belle Histoire de France : Jeanne d'Arc. Mais, tiens, bizarre, quand on lit l'histoire de la pucelle, on ne trouve rien de spécial le premier mai : ni naissance, ni mort, ni béatification, ni rien. Sa fête, dans le calendrier chrétien, a bien lieu le 30 mai, hommage au 30 mai 1431, jour où elle s'est faite brûler vive, à Rouen, et que ça a dû être drôlement chouette. On trouve aussi un 30 mai 1920, qui se passe à Rome cette fois : le jour de la consécration, Jeanne devient Sainte Jeanne d'Arc. Mais toujours rien le 1er mai. Et puis, tiens, quand on regarde mieux et qu'ont est un catholique de la première heure, on se rappelle que le premier mai c'était, jusqu'à ya pas si longtemps (et depuis belles lurettes chrétiennes), la Saint Philippe… Philippe… Oui, il y a bien celui des 2be3, mais ça prend pas de “e” à la fin. Et puis, il semblerait qu'il n'y ait aucun lien de parenté entre les 2be3 et la fameuse Jeanne. Donc il faut chercher un autre Philippe.
Pour les imaginations les plus fécondes, vous aurez sans doute compris de qui il s'agissait ; notre Philippe, celui qui arrive à se hisser presque aussi haut que la gentille Jeanne dans notre si belle Histoire : Le Philippe, notre bon vieux maréchal. Quel rapport me direz-vous… Eh bien, si, justement. Car le 24 avril 1941, ce vieux fou de Philippe annonce à la foule en délire : « Le 1er mai a été, jusqu’ici, un symbole de division et de haine. Il sera désormais un symbole d’union et d’amitié, parce qu’il sera la fête du travail et des travailleurs. Le travail est le moyen le plus noble et le plus digne que nous ayons de devenir maître de notre sort. »
Et pouf, voilà qu'il nous reconnaît un nouveau jour férié - la fameuse “Fête du Travail”, tout pile le jour de sa fête.
Oui, mais ça nous dit toujours pas pourquoi Jeanne d'Arc. Et il faut revenir au 24 avril, mais 1988 cette fois, et non plus 41, pour comprendre un peu mieux la recette (la preuve en images, écoutez donc le début du discours, ça passe comme une lettre à la poste : http://www.ina.fr/video/I00002342/reaction-jean-marie-le-pen.fr.html [lien mort]).
Et donc voilà annoncer la “fête du travail et de Jeanne d'Arc”… oh la bonne idée… le clin d'oeil à Philippe est subtil, l'idée tout de même assez absurde et tirée par les chevaux, mais les militants FN n'en manqueront pas une désormais, et ne laisseront pas cette journée aux gauchistes… En 2011 encore, Marine nous faisait un one-woman show rue des Tuileries, devant la statue de la Pucelle (la preuve en images, à ne pas trop regarder : http://www.youtube.com/watch?v=CtNqEiisJB4).
Une belle occasion de passer au JT ce jour-là, qui avait tendance à prendre des allures de tribune de la CGTCFDT. Et puis toujours l'occasion d'aller cogner un militant groguis par le pastis et les merguez pas cher du stand CGT. C'est toujours plus drôle de faire ça en famille.
Sarkozy nous propose donc de fêter (le 23 avril 2012, avec un jour d'avance sur ses ancêtres, la preuve : http://www.youtube.com/watch?v=BP78oFwVsD0) le travail le 1er mai… Le vrai travail, celui de ceux qui souffrent. De ceux qui se tuent à la tâche, et qui gagnent moins que ceux qui ne font rien (c'est connu…). Une manifestation qui ne défendra pas les statuts, mais le travail lui-même.
Question : comment défend-on le Travail en soi, sans défendre les statuts des travailleurs ? Par des prières ? Des imprécations ? Par une révision du dictionnaire ? Par une thèse de philosophie peut-être… C'est en tout cas assez clair : une fête du Travail, et pas des droits des travailleurs.
Le premier mai, il faudra choisir… Choisir entre manifester pour la défense des droits des travailleurs, pour la défense de la mémoire de Jeanne d'Arc, ou pour la défense du vrai travail des vrais Français qui travaillent en vrai pour défendre le Travail.
Question à mille euros : Sarkozy serait-il la synthèse de la gauche et de l'extrême droite ?
Personne pour annoncer la fête du premier pont du mois de mai ?