brazil.ogg, a escuchar !
La mission serait de faire un album pour accompagner le bouquin que prépare Antoine H, à mi-chemin entre mémoire de recherche et roman graphique, ayant pour thème le Brésil et l'urbanisme sous un angle politique.
Ce livre sera accompagné de deux disques.
Le premier disque contiendra des enregistrements peu retouchés faits dans les favellas de Rio.
Un second disque serait beaucoup plus libre de forme et de contenu, c'est pour celui-ci que nous comptons sur votre participation ! :)
Le tout est à destination de l'association des habitants du quartier de Vidigal, qui réfléchit actuellement aux possibilités juridiques d'enrayer une gentrification de leur quartier. Il sera aussi proposé à l'association culturelle Nos do Morro, en place depuis 20 ans à travers des initiations au théâtre, des formations aux métiers du cinéma et s'affichant comme un des acteurs essentiel du quartier. Un autre contact est disponible pour diffuser ce travail au sein de l'université fédérale d'architecture de Rio de Janeiro, auprès de Rafaël Soares Gonçalves, auteur du livre Les favelas de Rio de Janeiro : Histoire et droit, XIX-XXe siècles.
Bonjoir les gens !
Un petit texte pour cerner, comprendre (non… pas comprendre), aborder, tâter, explorer des possibles pour la réalisation d'un projet commun, alliant musique, documentaire, recherche graphique et narrative, concernant le Brésil et plus spécifiquement la favela de Vidigal. Pour commencer, le terme “favela” est employé au Brésil principalement par les pouvoirs publics et les populations riches, voire très riches. Les classes moyennes ont un rapport un peu plus subtil dans la dénomination de ces quartiers - n'ayant parfois pas d'autres choix que d'y habiter (ce que nous appellerions en France des travailleurs pauvres, comme ceux qui bossent 25h dans une usine Renault dans la première couronne parisienne et qui se trouvent contraints d'habiter une tente en bâche plastique en plein coeur du bois de Boulogne). Ainsi les favelas sont plutôt appelées “comunaudade” (communautés) par les habitants, inspirant alors un autre rapport à la perception que nous pouvons avoir de ces ilots urbains.
Comprendre la culture brésilienne n'est pas le propos ici. Ce serait bien prétentieux de ma (notre ?) part. Mais quelques éléments de son histoire peuvent former peut-être une trame pour essayer de construire “quelque chose” ensemble. Un des points d'ancrage pourrait être la question du brassage, sous toutes ses formes, organiques, sociales ou minérales. L'abolition de l'esclavage arrive tardivement, à la fin du 19ème siècle. On peut dire que commence alors la formation d'une culture brésilienne. Dans les années 1920, un groupe de poètes, écrivains, chanteurs, fonde un mouvement artistique appelé le “mouvement anthropophage”. Partant du constat d'une république brésilienne naissante et de la diversité des cultures maillant le territoire (africains, asiatiques, indiens, portugais et autres européens…), ce mouvement prône l'ingurgitation massive de toutes les cultures de ce pays, leur digestion - afin de créer un socle commun dans lequel se retrouvera la population nationale (c'est aussi la formation d'une conscience nationale qui se joue). On peut y voir, entre autres choses, une volonté d'aller de l'avant par rapport à la question de la création de ce pays dans la violence et le déracinement. Il s'agit donc de créer de nouvelles racines pour l'avenir, pour retrouver cette “felicidade” (félicité mais c'est pas vraiment ça) de la vie, sans pour autant oublier d'où on vient.
Le Brésil est une terre de brassage, de mixité, de relations subtiles, de côtoiement. Une grande ville brésilienne se compose d'une multitude de poches, de couches, d'histoires. Il n'est pas rare de tomber sur une communauté au détour d'une rue en sortant d'un quartier riche. Des poches urbaines de richesses (appelés gated communities) cotoient des communautés, dans un rapport physique extrêmement violent (murs, barbelés, clôtures électriques, sas d'entrée, gardien, caméras). Mais contrairement en Europe, le pauvre n'en voudra jamais aux riches d'être riche. Malgré une espèce de paranoïa sécuritaire largement appuyée par les médias, cette promiscuité constante dans l'espace de la rue amène un autre type de relation. Pays marqué par le catholicisme, il y a aussi comme un fond d'empathie de la part des riches envers les pauvres. Mais résumer la culture brésilienne a ces quelques phrases serait naïf.
En ce qui concerne la communauté de Vidigal dont traiterait le travail graphique, il s'agit d'un quartier de 13 000 habitants qui existe depuis 60 ans. Il se situe dans la zone Rio Sud, fiché dans une crique avec vue sur la mer, entre les quartiers riches de Leblon (la plage qui prolonge Ipanema et Copacabana) et de Sao Conrado. Derrière la montagne qui la surplombe, la favela de Rocinha est l'une des plus grosses communautés du Brésil (pour eux d'Amérique latine) avec une population allant jusqu'à 75 000 habitants. Soit l'équivalent de la population grenobloise en auto-gestion, sans l'être vraiment. Sans faire une histoire de la formation des favelas au Brésil, le travail graphique pourrait ressembler à un mixage de différents procédés de mises en images (BD “divertissement”, roman graphique, documentaire…) relatant une expérience de vie au sein de cette communauté. Si les favelas répondent à des stéréotypes bien connus que sont le trafic, la prostitution, la violence et le meurtre (un peu comme ici en fait), ce sont aussi des quartiers d'une richesse et d'une complexité magiques. C'est aussi cliché de dire un truc comme ça, je concède mais la question qui m'intéresse, la question architecturale, c'est : comment on fait de la ville avec peu de moyens. Comment se gère la sobriété en milieu urbain ? Comment se gère la construction d'habitat au sein d'une favela ? Quelles autorités ? Quel système ? Comment celui-ci arrive à faire de la ville et cela, sans aucune présence sur le territoire des autorités publiques ? Que va devenir cette communauté enserrée par les quartiers riches, avec l'arrivée de la coupe du monde et des JO en 2014 et 2016 ? Qu'est ce qui s'opère pour les communautés de la zone sud ? Comment le droit intervient dans tout ça ? Comment se fait le maillage entre ces deux systèmes, étatiques et auto-gestionnaires ? Quel pratiques, quels outils l'Etat emploie pour faire plier les réseaux mafieux ? Vers quoi ça tend ? Toutes ces questions (putain, ça en fait un paquet…), je ne sais pas trop comment je vais les traiter. On griffonne, on y pense un peu tous les jours…
Je ne suis pas musicien. J'aurais beaucoup à dire sur le rapport entre le dessin et la musique mais il est tard et ça fait trois jours que je fais la teuf et mes potes ils pioncent à côté et que je fais ce mail parce que c'est possible que ce soit nécessaire. Mais j'ai l'impression qu'on fonctionne un peu pareil. Ce qui pourrait rapprocher ces deux pratiques, c'est la pluralité des outils utilisés, leurs assemblages, la force et la subtilité que nous mettons dans un geste, une posture, autant intellectuel que physique, pour arriver à donner (on sait pas quoi mais on donne). Bon c'est pas que ça, y a plein d'autres gens qui parlent très bien de ça et qui le font depuis bien longtemps et puis c'est pas le moment (ou peut-être que si en fait). Mais du coup, la musique répond comme au dessin au principe de mixage, de maillage.
Pendant ce voyage, je me suis dit que le récit de voyage était un mensonge. Mais cela n'empêche pas qu'il puisse y avoir beaucoup de sincérité dans la manière de le dire.
La culture brésilienne (que je ne connais finalement toujours pas) s'est construite sur une subtile alchimie dans le croisement des cultures, qui a tenté sous la dictature de trouver une unité, notamment à travers la construction de Brasilia (dont le plan directeur de la ville représente un oiseau qui s'envole) et au-delà, l'architecture moderne. Les communautés sont pétris de cette culture architecturale mais ils ont aussi leurs propres techniques constructives, basé sur la nécessité et la sobriété. Les matériaux utilisés sont les mêmes (béton, briques) mais en quantité moindre. Pour pousser plus loin encore, les théories modernes trouvent leurs racines dans l'architecture classique et autour de la Méditerranée. Les différents voyages des architectes modernes dans les bidonvilles ont nourri leurs imaginaires (tout comme les masques africains influença radicalement les courants artistiques européens du début du siècle). Parler des communautés en revenant sur des fondements théoriques qui ont façonné notre environnement pendant près de 60 ans convient à rendre à César ce qui est à César.
Bref, au-delà de ce grand bavardage, je n'ai pas réellement d'idée sur ce que pourrait devenir ce projet, ce qu'il contiendrait, sous quelle forme il se présenterait. J'ai une phrase qui me revient en tête (je ne sais plus qui c'est qui l'a dit): “Ce ne sont pas les doutes qui sont dangereux, ce sont les certitudes.” Mais une petite intuition de quelqu'un qui ne fait pas de musique dirait que c'est un travail qui essaie de traiter de l'homme dans un environnement urbain qu'il a fabriqué. C'est un travail sur l'urbain, le vivant, la relation, qu'elle soit douce ou violente.
Penser liens, penser tissus, maillage, anthropophage !
Et bonne nuit.
Un extrait de “Antropophagie zombie” de Sueley Rolnik, issu des actes du colloque “Brésil/Europe : repenser le mouvement antropophagique”, téléchargeable un peu plus haut, sur cette même page…
Scène 1. Les Indiens Caeté dansent autour d'un chaudron où, sur un feu crépitant, ils font cuire le corps dépecé du premier évêque du Brésil. L'évêque Sardinha avait fait naufrage en arrivant à la terre récemment conquise, où il était venu avec pour mission de commencer la catéchèse de la population indigène au nom de l'Église portugaise. Les Indiens le dévorent avec les quatre-vingt-dix membres de l'équipage qui l'accompagnaient. Tel est l'épisode fondateur de l'histoire de la catéchèse au Brésil, entreprise qui visait à établir des bases subjectives et culturelles en vue de la colonisation du pays.
Scène 2. Hans Staden, un aventurier allemand, se voit capturé par les Indiens Tupinambá, qui se préparent à le tuer et à le dévorer dans un banquet collectif rituel. Mais, au moment venu, les indigènes décident de renoncer au festin : ils sentent que manque à cette chair le goût de la bravoure. La lâcheté évidente de cet étranger aurait éloigné le désir de le savourer et, cette fois, l'appétit anthropophage ne peut être rassasié. La narration de cette aventure, rapportée par Staden lui-même, fonde la littérature de voyage du Brésil colonial. Telles sont les deux informations les plus célèbres concernant le banquet anthropophage pratiqué par les indigènes contre les Européens qui venaient explorer leurs mondes. Elles se détachent dans l'imaginaire des Brésiliens comme les deux facettes de l'un des mythes fondateurs du pays concernant la politique de relation avec l'autre et sa culture, en particulier l'autre comme prédateur de leurs ressources – qu'elles soient matérielles, culturelles ou subjectives (force de travail).
Pourquoi deux scènes distinctes ? Nous pouvons supposer que la différence entre ces deux types de réactions des Indiens devant la présence de l'explorateur nous donne une clé possible pour la politique de sa relation à l'autre. Selon la légende, dévorer l'évêque Sardinha et son équipage leur permettrait de s'approprier la puissance du colonisateur, en alimentant ainsi leur propre valeur guerrière. Tandis que ne pas manger Hans Staden les protégerait d'une contamination par la lâcheté de cet étranger. Mais qu'entendre par lâcheté dans ce cas particulier ? Probablement une vibration dans le corps de cet étranger qui transmettait son désir d'extraire des Indiens une image idéalisée de l'autre, pour alimenter ses illusions métaphysiques et apaiser son malaise et sa culpabilité. Une vision du monde qui avait pour base l'évitement de la confrontation avec la violence de sa place de colonisateur oppresseur face au colonisé, mais aussi avec celle de la déterritorialisation de son image de soi, à laquelle cette rencontre conduirait nécessairement. En d'autres termes, manquait à cet Allemand le courage d'affirmer sa propre puissance.
Dans les années 1920, ce mythe fut réactivé par les avant-gardes modernistes de São Paulo et prit une place prédominante dans l'imaginaire culturel en extrapolant la littéralité de l'acte de dévorer pratiqué par les Indiens. Connu comme Mouvement Anthropophage, celui-ci adopta la formule éthique de la relation avec l’autre et sa culture, ritualisée à travers ces pratiques, et la transféra à la société brésilienne comme un tout. Celle-ci serait, selon les thèses anthropophages, la politique dominante de résistance et de création dans la subjectivité du pays, politique qu'il proposait d'assumer comme valeur.
Quels sont les éléments constitutifs de cette formule ? L'autre doit être dévoré ou abandonné. Ce n'est pas n'importe quel autre que l'on dévore. Le choix dépend de l'évaluation de la manière dont sa présence affecte le corps en sa puissance vitale : la règle consiste à s'éloigner de ceux qui l'affaiblissent et à s'approcher de ceux qui la fortifient. Lorsque la décision est en faveur du rapprochement, la règle consiste à se permettre d'être affecté le plus physiquement possible : assimiler l’autre en sa puissance vitale, en l'absorbant dans son corps, de telle manière que les particules de sa différence admirée et désirée soient incorporées à la chimie de l'âme, et stimulent ainsi le raffinement, l'expansion et le devenir de soi-même.
Si on calcule un peu, nous avons pour l'instant 53'27 de son. Ya encore la place. ça tombe bien - cacatoès et pilami n'ont encore rien rendu, james et le poney préparent chacun un nouveau truc, et shoi extrasystole a encore pas mal de trucs sous le pied. Bref, on est bien. On aura un gros disque bien rempli.